Chapitre 2

Chapitre 2 : Celui où c'est Rosalind qui décide

Cela faisait maintenant quatre semaines entières que la recrue Sax s'entraînait dans la Guilde des "S'pèces de Girls".
Au départ, il ne s'agissait pas d'adhérer à une idéologie purement féministe, mais plutôt de succomber à une soif d'apprendre, de progresser, de devenir la meilleure archère du pays et, pourquoi pas, du monde. Le recrutement avait été simple, il suffisait de ne pas être un homme (un loup dans la bergerie ?) ou une orque (définitivement trop laid). Rien d'insurmontable pour une elfette des bois en somme.

Cependant, la dictature matriarcale pseudo-démocratique de Rosalind devenait de plus en plus évidente pour son esprit suffisamment aiguisé pour ne pas être roulé dans la farine par le premier escroc venu. Et la parodie de vote du jour ne présageait rien de bon dans la tête de la jeune archère, comme toutes les semaines d'ailleurs...

Demetra l'avait bien senti mais, le temps de l'entraînement quotidien, faisait mine de ne rien remarquer des regards noirs de son élève envers certaines officières à la langue trop bien pendue ou envers certaines recrues trop stupides pour ne rien remarquer de ce qui se tramait dans les plus hautes sphères de la guilde. Elle était fière de sa protégée et de l'entrain avec lequel elle décochait ses flèches et les plantait à chaque fois, ou presque, en plein centre des cibles dissimulées au milieu des arbres environnant la clairière où se tenait le terrain d'exercice.

Le soir, de retour au sanctuaire des S'pèces de Girls, les deux amies se séparaient pour marquer leur écart d'échelon social et ne pas montrer une quelconque forme de rassemblement ou, pire, de coalition qui ne serait pas du goût de la Cheftaine. Les choses se savaient vite par ici et on pouvait être certain que les murs avaient toujours au moins une paire d'oreilles... Une critique ou une remarque mal placée ou incomprise et c'était un rapport détaillé qui arrivait sur le bureau de Rosalind dans l'heure qui suivait, avec à la clef, comme souvent, une amende en or, une humiliation, des peines d'enfermement au cachot de la guilde ou plus rarement les trois à la fois.

Ce vendredi matin là, comme chaque semaine, se tenait le vote hebdomadaire des membres. L'absurdité de la récurrence du seul élan démocratique de Rosalind se trouvait dans l'objet même des votes (la couleur de la tunique portée par l'ogresse dans les prochains jours, un cri de ralliement, le temps des pauses repas du samedi et la longueur de l'ourlet des robes des magiciennes étaient souvent remis en question) ou dans la non-application du résultat si celui-ci allait à l'encontre de l'opinion déjà tranchée de l'organisatrice... Sax le savait bien, mais comme d'autres, elle se taisait et participait avec amertume à cette mascarade.

Contre toute attente, le vote du jour concernait un élément essentiel au bon fonctionnement de l'association féminine et point de discorde permanent entre les membres et leur meneuse : l'or. Bien que le mode de distribution fut approuvé de nombreuses fois, celui du calcul se révélait bien trop nébuleux et générateur d'entourloupes de toutes sortes et à tous les niveaux. Et là, pour une fois, c'est bien de cela qu'il s'agissait.


Outre le fait que le vote imposait obligatoirement une augmentation de la contribution des membres, Rosalind, en réfléchissant à la question, avait totalement balayé d'un revers de main toutes les propositions intelligentes qui lui avaient été faites lors des réunions préalables, ne laissant comme choix que ses propres solutions.

C'est terminé pour aujourd'hui les filles ! annonça Demetra d'une voix forte pour bien se faire entendre de ses élèves.
Une dizaine d'archères, des elfes et des humaines pour la plupart, se pressèrent autour de leur tutrice en rouspétant à qui mieux-mieux.
Mais Dame Demetra, on a eu que trois heures d'entraînement aujourd'hui !
Demain soir on part en guerre, on va se faire étaler par nos adversaires !

Demetra prit une profonde inspiration et leur répondit avec compréhension et respect :
Je sais bien que le vote nous fait perdre un temps précieux mais ça marche comme ça ici, je n'y peux malheureusement rien.
En revanche, ne vous inquiétez pas pour demain ! Vous faites un excellent boulot, je suis sûre que vous vous en sortirez très bien. J'ai confiance en vous.
Allez, toutes au lac ! Décrassez-vous et on se retrouve à la guilde dans une heure.

Tout comme ses camarades, Sax ramassa ses flèches dispersées aux quatre coins de la forêt et trotta d'un pas assuré en direction de la petite cascade attenante au bosquet de la guilde. Elle accéléra la cadence et au lieu de prendre le sentier, elle commença à sauter de rocher en rocher pour atteindre le sommet de la chute d'eau. En criant à pleins poumons, elle se jeta tête la première dans l'eau tourbillonnante et cristalline.